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[Lumière sur] Coralie JEHANNO, promo 2015, docteure entrepreneure en recyclage des plastiques

Archive du 31/05/20 – Aujourd’hui nous vous proposons le témoignage de Coralie Jehanno, ingénieure promo 2015, docteure spécialisée dans le recyclage des plastiques. Dans cette interview, elle nous parlera de son parcours universitaire et associatif, et détaillera son cheminement vers la thèse. A cette occasion, elle donnera quelques conseils aux élèves qui hésitent à se lancer dans l’aventure doctorale.

Coralie, peux-tu te présenter rapidement ?

Je m’appelle Coralie Jehanno, chimiste promotion 2015. A la suite de mon diplôme, j’ai réalisé une thèse sur le recyclage des plastiques par organo-catalyse, au sein de POLYMAT, centre basque de recherche sur les matériaux polymères. Je vis aujourd’hui à Saint-Sébastien, en Espagne. Avec 3 collègues, nous avons engagé cette année la création de notre entreprise : POLYKEY, spécialisée dans la vente de monomères et polymères spécifiques.

Décris nous brièvement ton parcours ingénieur

J’ai tout d’abord fait une classe préparatoire intégrée à l’ENSCR (École Nationale Supérieure de Chimie de Rennes), de la fédération GAY LUSSAC. A la fin de 2 années de contrôle continu, j’ai classé les 20 écoles de la fédération par ordre de priorité et j’ai été sélectionnée pour l’ENSCBP, mon 1er choix.

Je suis arrivée sur à l’ENSCBP (aujourd’hui ENSMAC) de Bordeaux et j’ai passé mes 3 années de cycle ingénieur, filière CP (ndlr : aujourd’hui filière CGP). En dernière année, j’ai choisi la spécialité LAI : Lipides et applications industrielles.

Pendant ma formation, j’ai participé à un projet étudiant PRISME, qui a mené à la création du Bureau Des Arts. A la base, il devait permettre d’organiser une exposition à l’école, en partenariat avec les BEAUX-ARTS de Bordeaux. L’idée était de créer un lien entre les étudiants en sciences et en arts, 2 mondes trop souvent cloisonnés. L’exposition a eu beaucoup de succès (un grand merci à Jean-Marc Heintz et Mireille Frimigacci pour leur soutien), et nous avons voulu pérenniser le projet : le BDE nous a passé le relais pour la gestion des clubs artistiques (musique, danse, théâtre), et nous avons organisé une Semaine des Arts dont nous avons été particulièrement fiers. Le BDA était né 🙂

A quelle moment l’idée de la thèse est venue ?

En arrivant à l’école, j’avais beaucoup d’a priori sur la recherche en général et le doctorat en particulier, jamais je n’aurai cru que j’enchainerai sur une thèse après le diplôme ! J’imaginais plutôt une carrière que je croyais plus opérationnelle et concrète : ingénieure projet ou QHSE, voire m’orienter vers le commerce ou le marketing. Mais les expériences et les opportunités ont permis de changer ma vision de la recherche.

Justement, quelles ont été ces expériences ?

Les 3 stages passés à l’école m’ont permis de changer doucement mon point de vue sur la recherche.

Lors de mon premier stage, j’ai travaillé pour l’association “Projets Solidaires” au Burkina Faso. Au passage, merci à l’association Asshume d’avoir à l’époque invité le directeur de cette asso bordelaise, que j’ai pu contacter par la suite et avec qui nous avons créé un sujet de stage sur mesure. En amont de notre séjour à Banfora, j’ai préparé une étude de faisabilité sur les biocharbons, fabriqués à partir de déchets agricoles. Sur place, j’ai accompagné l’équipe de l’asso pour son implantation.

Petite note pour les étudiants : Pour le contexte, il faut savoir qu’au Burkina, le bois de combustion est une question cruciale pour les habitants. Son achat représente en moyenne 50% du budget d’une famille, sa collecte implique la déforestation de la forêt primaire et entraîne la déscolarisation des enfants, puisqu’ils sont chargés d’aller chercher cette ressource, toujours plus éloignée des foyers. Un super stage et une super asso pour celles et ceux qui souhaitent mettre leurs compétences d’ingé au profit d’associations de développement (lien du site plus haut) !

J’ai ensuite fait un stage en recherche au Catalysis Center de l’université de KAUST, en Arabie Saoudite. J’ai travaillé sur la synthèse de polymères amphiphiles pour la catalyse. A la base, je n’avais pas spécialement choisi ce stage pour son côté recherche, il devait même me permettre d’écarter la R&D pour la suite de mon projet professionnel ! En fait, j’y allais principalement pour deux raisons : améliorer mon anglais et découvrir un cadre international assez hors du commun. Le fait que nous étions correctement rémunérés était aussi un plus. Une fois là-bas, j’ai eu la chance d’être bien encadrée, on m’a formée à des équipements d’analyses sophistiqués et on m’a laissé énormément de liberté. L’activité de recherche m’a beaucoup plu, elle m’est apparue beaucoup plus créative et moins formelle que je ne me l’imaginais.

Pour mon stage de spécialisation, j’ai travaillé pour TOTAL à Solaize, près de Lyon. Toujours en recherche, mais côté industrie cette fois-ci ! Pour ce stage, j’étais chargée de sélectionner de nouveaux additifs pour les huiles de boîtes de vitesse automatiques. Objectif du projet : allonger la durée de vie des huiles déjà utilisées, en utilisant des molécules plus respectueuses de l’environnement. Au programme : beaucoup de bibliographie, des études technico-économiques, des analyses sur les huiles et des tests sur banc d’essai. J’ai eu la chance de travailler avec une équipe qui me faisait confiance et j’ai apprécié le côté très pratique de la recherche en entreprise.

A la fin de ce stage, en 2015, je me sentais prête à travailler en tant qu’ingénieur R&D en entreprise, à l’époque je me suis dit pourquoi pas chez TOTAL. J’ai cependant vite réalisé que ces grosses entreprises ne recrutaient que très peu de juniors. Le directeur du département Lubrifiant oú j’ai fait mon stage souhaitait garder mon profil et m’a conseillé de revenir après 2 à 3 ans d’expérience en R&D dans une autre structure, ou avec un doctorat en poche. Le milieu de la recherche dans ces grands groupes est extrêmement compétitif.

Du coup, comment s’est passée ta recherche après le diplôme ?

Avant la fin de mon stage, j’avais déjà commencé à envoyer beaucoup de candidatures. Je voulais trouver un job en R&D en Europe, j’ai donc postulé à des VIE, candidaté sur des sites spécialisés, etc. Sans retour pendant ces premières semaines, les entreprises que je visais ne cherchaient pas de junior scientist à ce moment…

Note de la rédaction : pour les étudiants et jeunes diplômés, ci-joint le site des Volontariats International en Entreprise CIVIWEB. Vous trouverez sur ce site des offres d’emplois à l’international pour des grands groupes, destinés au jeunes actifs.

Fin Octobre, peu après la fin de mon stage, un camarade de promo, Amaury Bossion, a partagé une offre de thèse en co-tutelle entre l’Espagne et l’Angleterre, sur les polymères biosourcés et leur recyclage. Je ne souhaitais pas particulièrement faire une thèse mais le sujet correspondait exactement à la thématique que je recherchais, j’ai donc décidé de postuler.

Coup de chance pour moi, cette offre de thèse faisait suite à un désistement, ils étaient donc pressés de trouver quelqu’un d’autre et j’ai pu passer en entretien avec le responsable de la thèse deux jours à peine après avoir postulée. L’offre indiquait qu’une partie de la thèse relèverait de calculs de chimie théorique, j’ai joué franc jeu pendant l’entretien, et expliqué que je n’étais pas experte mais que j’était prête à apprendre. L’entretien s’est très bien passé et j’ai été sélectionnée pour ce doctorat. Il s’est avéré par la suite que j’aime particulièrement cette aspect de mon travail : la chimie théorique, alors un petit conseil aux étudiants : restez ouverts (et ne vous arrêtez pas aux souvenirs, parfois désagréables, de certains cours !)

J’ai commencé à Saint Sébastien en décembre 2015, et j’ai soutenu ma thèse en juillet 2019.

En quoi a consisté ta thèse ?

J’ai réalisé une thèse Marie Curie, thèse financée par l’Union Européenne dans le cadre d’un programme intitulé SUSPOL (SUStainable POLymers).

Ce programme rassemblait 10 doctorants dans 4 universités européennes (en Belgique, Angleterre, France et Espagne). Il s’agissait de sujets de thèses sur des méthodes de synthèse de polymères plus durables, biosourcés, plus facilement recyclables, et adoptant des principes de chimie verte (moins de solvants, moins d’énergie, etc.)

Mon sujet portait sur le recyclage des plastiques communs/usuels par organo-catalyse. Il s’agissait d’utiliser des catalyseurs non métalliques et le moins de solvants possibles pour recycler avec le plus faible impact possible.

La découverte de nouveaux environnements et méthodes de travail était très importante pour les instigateurs du projet. Au cours des 3 années de thèse, j’ai donc passé 9 mois en Angleterre à l’université de Warwick, 5 mois à IBM à San José, en Californie, et le reste à POLYMAT, à Saint-Sébastien, dans le pays basque espagnol.

A IBM, je travaillais dans les labos de chimie du centre R&D californien (Almaden Research center). A noter, si IBM est essentiellement connu du grand public pour l’informatique, ce groupe investit énormément dans la recherche, dans de nombreux domaines, et possède de nombreux brevets dans le recyclage des plastiques. Note pour les étudiants : IBM embauche des stagiaires du monde entier de Mars à Septembre en général, n’hésitez pas à me contacter (mail en fin d’article) si vous cherchez un stage dans le domaine des polymères.

Tu as fini ta thèse cette année et tu t’es lancée dans la création d’une entreprise. Peux-tu nous raconter comment tu en es arrivée là ?

Au cours du doctorat, j’avais décidé de rester dans la branche des polymères biosourcés et du recyclage. 6 mois avant la fin de ma thèse, j’ai eu un entretien avec mon responsable. Nous avons parlé des bons résultats du projet et il m’a annoncé que le laboratoire souhaitait créer une spin-off basée principalement sur les résultats de ma thèse et ceux d’une collègue, Andere BASTERRETXEA, (qui a fait une thèse sur la synthèse de polymères biosourcés par organocatalyse). Il nous a proposé à toutes les deux de lancer cette entreprise. Nous avons discuté avec Andere et rapidement nous avons pris notre décision et nous nous sommes lancées dans l’aventure !

Après ma soutenance, je suis partie voyager 2 mois en Amérique Latine, Andere a également pris quelques semaines de vacances. A notre retour à l’automne 2019, beaucoup de travail nous attendait dans un domaine qui nous était alors inconnu : l’entreprenariat. Pour cette année, si ma collègue travaille à 100% à la création de POLYKEY, j’y consacre seulement 50% de mon temps de travail, les 50% restants étant dédiés à un travail plus classique de postdoc pour POLYMAT (je poursuis certaines recherches engagées pendant la thèse et en lien avec l’entreprise, et je supervise également 2 doctorants).

La constitution a été un peu retardée par la crise du COVID-19, mais POLYKEY sera légalement et officiellement une entreprise à partir de début Juin !

POLYKEY est une entreprise de production et de service innovant pour l’industrie des polymères. Si nous proposons à la vente des polymères et monomères pour des applications particulières sur notre site, nous souhaitons aussi nous spécialiser dans la résolution de problèmes dans nos 3 domaines d’expertise :

  • Recyclage de polymères : définition de process de recyclage chimique, développement de réactions de dépolymérisation, et développement d’une approche circulaire pour la synthèse de nouveaux polymères.
  • Synthèse de polymères : Up-scaling de production (passer du gramme produit en laboratoire à quelques kilogrammes), design des process de production de polymères, propositions de voies de synthèse de polymères biosourcés ou biodégradables
  • Stockage d’énergie : production de polymères électrolytes

L’idée est de créer un pont entre la recherche académique et la recherche appliquée, deux milieux trop souvent segmentés. S’il est encore trop tôt pour communiquer de possible contrats pour POLYKEY, nous sommes déjà en relation avec deux entreprises sur des projets très intéressants, axés sur le développement de méthodes de synthèse plus respectueuses de l’environnement.

Merci beaucoup pour ton partage d’expérience Coralie. Avant de nous quitter, aurais-tu des conseils à donner aux élèves qui hésitent aujourd’hui à faire une thèse ?

On pense souvent à tort que toutes les thèses se ressemblent et que si l’on a parlé avec un doctorant ou deux, on peut s’en faire une idée. C’est faux. Chaque thèse est différente, cela dépend du domaine et du sujet de recherche bien sûr mais aussi du pays voir de la région dans laquelle vous travaillez, du type d’institution qui vous finance, du matériel à votre disposition, etc. Le point commun de chaque thèse est qu’elles commencent par une étude de l’état de l’art et qu’elles se terminent par un manuscrit à écrire.

Tout ce qui se passe entre les deux varie infiniment et chaque doctorant vous en fera un récit unique. Donc profitez de vos stages pour vous confronter au monde de la recherche, et si vous êtes intéressé(e)s par une thèse, discutez-en avec différents doctorants. Lorsque vous postulez à une offre, prêtez bien attention au cadre de travail et à l’équipe avec laquelle vous allez travailler. Si une offre vous intéresse, n’hésitez pas à contacter des membres du groupe de recherche, passé ou présent, pour discuter avec eux de l’ambiance et du rythme de travail.

Une thèse peut durer de 3 à 5 ans, le milieu de la recherche est compétitif et peut être assez frustrant, on ne compte pas son temps et l’on peut être relativement mal payé(e). Alors surtout, il faut être sûr d’être bien entouré(e), d’évoluer dans un environnement agréable et d’avoir un responsable de thèse à l’écoute. Le thème de recherche est bien sûr primordial et doit vous plaire, mais ne négligez pas le contexte: la ville, le laboratoire, l’équipe, l’ambiance au travail, etc.

Si tout est réuni, lancez-vous, vous ne le regretterez pas 🙂

Un grand merci à Coralie pour ce partage d’expérience et ses conseils ! Si vous souhaitez la contacter , voici son adresse mail : coralijeh@gmail.com

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