Back

[Lumière sur] Delphine de Andria, directrice internationale des programmes Renault

Archive du 22/12/20 – Aujourd’hui nous vous proposons de découvrir le parcours de Delphine De Andria (plus connue comme Delphine Eyquem par ses contemporains de l’ENSCBP), promo 1992, qui nous parlera de sa déjà brillante carrière chez Renault, depuis son premier emploi jusqu’à son poste actuel (Directrice des programmes Renault pour l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Inde et le Pacifique), poste pour lequel elle a reçu le titre de Femme Internationale 2020 par l’Usine Nouvelle. Un témoignage riche et passionnant, sur une femme qui a su faire sa place dans un milieu masculin, et atteindre son objectif d’allier vie de famille et carrière professionnelle épanouies.

Bonjour Delphine, peux-tu nous décrire comment tu as intégré Renault ?

Je suis sortie de l’ENSCBP en 1992, avec un diplôme d’ingénieure en physique-chimie. Je n’avais même pas 22 ans, et je ne me sentais pas suffisamment mûre pour travailler. Je n’étais pas faite pour la recherche fondamentale, et préférant la pratique à la théorie, j’ai eu la chance de décrocher une thèse en partenariat avec deux laboratoires et quatre industriels, en binôme avec un étudiant des Arts et Métiers de Bordeaux. Nous collaborions sur un sujet de collage structural de longerons pour l’automobile, et pendant qu’il travaillait sur la partie d’essais destructifs avec PSA et Renault, j’étais quant à moi en contrat CIFRE avec Usinor Sacilor (grand groupe sidérurgique français, aujourd’hui ArcelorMittal fusions et rachats) et Elf-Atochem (fabricant d’adhésifs, aujourd’hui Arkema). Cependant, le lendemain de ma soutenance de thèse fin 1995, c’est moi que Renault a appelé pour me proposer un poste !

J’ai alors commencé ma carrière chez ce constructeur automobile, en travaillant sur l’évaluation de la qualité des peintures de carrosserie. Durant ces travaux de recherche appliquée effectués en lien avec les usines, cherchant à participer à des terrains d’enquêtes clientèles pour mieux comprendre comment les clients percevaient la qualité des peintures et leurs défauts éventuels, j’ai eu l’occasion de découvrir le secteur où naissent tous les futurs véhicules du groupe, la Direction du Produit. Ce fut pour moi une vraie révélation, et j’ai alors cherché comment pouvoir la rejoindre. C’est ainsi que j’ai effectué mon premier virage à 180° quatre ans après mon embauche, en allant travailler aux études de marché. J’y suis restée deux ans, toujours avec l’idée en tête qu’un jour, je définirai des nouvelles voitures.

Et tu as donc atteint ton objectif ?

Oui, j’ai intégré cette direction du Produit en tant que Chef de Produit adjoint au tout début d’un nouveau projet, qui deviendra la future Clio 3. Ce qui est intéressant, c’est que nous partons d’une feuille blanche, et à partir des demandes client, nous imaginons notre futur produit. Il a fallu quatre ans pour mener à bien ce projet, et je suis restée jusqu’à la commercialisation de la voiture.

J’ai ensuite eu la chance d’enchaîner sur un autre nouveau projet en tant que Chef de Produit cette fois-ci. J’ai recommencé le processus de A à Z, sur le futur Scénic 3. Ce poste est vraiment multi-facettes, combinant l’analyse de la concurrence, la définition des dimensions de la voiture, sa gamme de moteurs, le niveau de ses prestations, le choix des couleurs et des matériaux, les essais… Ce sont huit années qui sont passées à toute allure !

J’ai ensuite voulu m’orienter sur la partie business. Je suis alors entrée à la Direction des Programmes des voitures du segment supérieur en tant que secrétaire exécutif, et au bout de 2 ans j’ai eu l’opportunité de prendre en charge le développement d’une nouvelle voiture en tant que Directeur de Programme adjoint. Il s’agissait d’un projet franco-coréen dont j’étais le chef d’orchestre, à mener l’ensemble des métiers de l’Amont et de l’Aval afin de délivrer le véhicule défini dans l’enveloppe budgétaire allouée et avec le niveau de profitabilité requis. J’ai goûté à ma 1ère expérience véritablement internationale, travaillant avec une partie des équipes en Corée chez notre partenaire Renault Samsung Motors. Je suis ensuite retournée à la Direction du Produit m’occuper de la gamme des véhicules du segment C, au moment où nous renouvelions toute la gamme. J’ai passé 2 années à enchainer salons automobiles et essais dynamiques avec les journalistes afin de promouvoir nos nouveaux modèles, une nouvelle expérience particulièrement instructive. Mais la dimension business me manquait, et je souhaitais évoluer vers un périmètre plus international.

On en vient alors à mon dernier poste, sur lequel je suis encore aujourd’hui. En 2016, on m’a proposé de prendre la Direction des Programmes sur la région Afrique Moyen-Orient Inde, soit environ 85 pays. Mon rôle consiste principalement à faire le lien entre les équipes projets et les équipes commerciales, pour m’assurer que les projets répondront bien aux attentes des clients visés sur notre périmètre, tout en étant profitables. Nous cherchons à identifier quels produits seront les plus adaptés en fonction des besoins des clients dans tel ou tel pays, et à voir comment développer de nouveaux business. En 2019, la région s’est agrandie suite à l’ajout des pays du Pacifique, et regroupe désormais 110 pays sur 3 continents rassemblant 56% de la population mondiale ! Moi qui, depuis mon arrivée chez Renault, avait en tête de toucher à l’international, on peut dire que mon objectif a été largement atteint ! J’ai aujourd’hui la chance de pouvoir travailler dans une même journée par exemple avec la Corée puis l’Inde, en passant par le Moyen-Orient, l’Afrique du Sud ou encore le Maroc et l’Algérie… côtoyant des personnes de différentes cultures, manières d’être et de travailler, une richesse et une aventure humaine extraordinaires.

Pour ce poste, tu as obtenu le titre de “Femme internationale” de l’année 2020 décerné par l’Usine Nouvelle. Comment se passe une telle aventure ?

Je connaissais de loin les Trophées des Femmes de l’Industrie car une collègue y avait déjà été nommée dans la catégorie « Projets », mais je ne m’étais pas posée la question sur mon éligibilité. Il y a dix catégories différentes (Femme d’innovation, Femme de projet, Femme commerciale…) et toute l’industrie française y est représentée, de l’entreprise du CAC40 à la petite PME. Ce sont mes chefs, hiérarchique et fonctionnel, qui m’ont proposé de candidater, et tout s’est ensuite enchaîné très vite ! J’ai déposé mon dossier fin mai, et au mois de juillet j’ai été sélectionnée dans le trio de nominées de ma catégorie. Les 30 finalistes sont alors interviewées pour le numéro du magazine de l’Usine Nouvelle de septembre, ce qui permet d’assurer un maximum de visibilité quant à la place des femmes dans l’industrie. Puis fin septembre, j’ai eu la chance d’assister à la cérémonie de remise des prix (maintenue malgré le contexte de COVID-19), où j’ai donc été nommée “Femme internationale” de l’année. A l’issue de la remise des récompenses, j’ai pu rencontrer d’autres lauréates formidables, et l’une d’elles m’a particulièrement marquée : Muriel Lenglin, directrice du programme du prochain sous-marin nucléaire français. Imaginez-vous, elle a dû gérer le 1er confinement lié à la crise du Covid avec ses trois enfants à la maison tout en étant à la tête d’un des programmes d’armement les plus importants du pays ! Avec son témoignage, j’ai réalisé la chance que j’avais que mes enfants soient déjà grands et autonomes !

La transition est parfaite ! Comment as-tu allié ta carrière et vie professionnelle à ta vie de famille ?

Je n’ai jamais voulu sacrifier ma vie de famille. J’ai trois garçons de 12, 16 et 18 ans et la chance d’avoir un mari qui me soutient entièrement. Il faut cela étant mettre en place une organisation qui va aider à tout mener de front, comme avoir une nounou à domicile ou rapprocher son domicile de son lieu de travail. J’ai aussi parfois eu la pression de la part de mes enfants qui voulaient que je travaille moins ou que je me mette aux 4/5ème. Mais j’ai décidé de leur expliquer très vite que c’était ainsi que je trouvais mon équilibre, à travers ces postes exigeants, et que cela nous permettait aussi de vivre ensemble des moments extraordinaires grâce aux magnifiques voyages que nous faisons aux quatre coins du monde et qui leur permettent d’avoir une grande ouverture d’esprit pour leur âge ! J’ai toujours voulu faire attention à l’équilibre de mon foyer, et si pour une quelconque raison, j’avais dû lever le pied pour le bien de mes enfants, je l’aurais bien sûr fait !

Je pense que c’est plus facile aujourd’hui pour une femme de vouloir fonder une famille tout en ayant une bonne évolution professionnelle. A mon époque, une femme qui avait été enceinte durant une année ne se voyait pas forcément attribuer d’augmentation lors de l’évaluation annuelle suivante. Depuis, certaines entreprises se sont rendu compte que leurs viviers de jeunes talents manquaient de femmes. Par exemple, chez Renault, des accords d’entreprise ont été passés et depuis, la révision salariale de l’année du congé maternité ne peut être inférieure à la moyenne des trois années précédentes.

Comment as-tu vécu d’être une femme dans ce milieu plutôt masculin ?

Il y a environ 25% de femmes chez Renault, et nous ne sommes plus que 15 à 17% dans les postes de cadres supérieurs. Il est donc vrai qu’entre le domaine automobile et mon poste à responsabilités, j’ai dû évoluer dans un milieu très masculin ! J’ai parfois ressenti de la jalousie de la part de certains hommes, alors que je ne mettais pas leur poste en danger. Une collègue qui m’a précédée dans le milieu m’a un jour fait la confidence suivante : “J’ai cru qu’il fallait que j’imite les hommes et que je fasse comme eux pour évoluer. Cela m’a pris une énergie folle ! Ne fais pas la même erreur que moi, reste toi-même et trouve ta propre manière de manager.” Alors cela m’a pris plus de temps et j’ai travaillé dur pour arriver où je suis aujourd’hui, mais je me suis construite sur des base solides et robustes, ce qui m’offre à présent une forte reconnaissance de la part de mes supérieurs !

J’imagine que les voyages prennent une grosse place dans ton quotidien, était-ce voulu ? Que t’apportent tes déplacements, et comment ont-ils été affectés par la crise sanitaire mondiale ?

J’ai toujours eu ce goût pour le voyage, et d’ailleurs, à l’ENSCBP, j’ai été la toute première étudiante à faire mon stage de 3ème année aux USA !

Mon poste actuel m’amène en effet à beaucoup voyager ; il est important d’aller “sentir” le terrain, découvrir le paysage automobile et les habitudes de conduite de chacun des pays (enfin d’une partie !) dont j’ai la charge. C’est essentiel pour s’y développer au mieux. Oui, aujourd’hui il y a internet et les présentations Powerpoint, mais aller en Inde et se retrouver arrêtée au milieu de la route car il y a des vaches qui nous empêchent de passer (et les vaches y sont sacrées donc on ne peut pas les brusquer…) puis slalomer avec un chauffeur qui appuie de façon quasi-continue sur son klaxon et frôle les autres véhicules et 2 roues en imaginant qu’il y a une 4ème file fictive sur la route, c’est beaucoup plus instructif ! Je vais en général trois fois par an dans les pays où nous avons des équipes en local, comme en Inde ou en Corée, et en fonction de l’actualité du moment dans les autres pays.

Depuis février, plus aucun déplacement n’a été possible ! Heureusement que je connais les équipes depuis quatre ans, nos liens sont déjà créés, et cela aide beaucoup pour communiquer durant cette période difficile. Ce sont surtout les moments “off” en dehors des réunions qui me manquent, car ce sont ceux qui aident à décoder et comprendre plein de choses sur les sujets et qui ne sont pas forcément possibles à distance. C’est par ces petits moments, plus informels, que j’obtiens la confiance de mes équipes, et j’ai toujours un retour très positif là-dessus ! Ce dont je suis très fière, ce sont les témoignages des personnes qui sont contentes d’avoir travaillé avec moi. Je fais beaucoup de feedback à mes équipes ; c’est certes chronophage, mais donner du sens et de la perspective à leurs missions permet leur plus grande adhésion, ils comprennent mieux le “pourquoi du comment” et j’arrive ainsi à les emmener tous avec moi !

Pour finir sur la Covid, il est aussi difficile de ne pas pouvoir assister de-visu à l’aboutissement de certains projets, aux lancements des nouvelles voitures… Ne pas vivre ces moments forts en équipe est terriblement frustrant !

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué au cours de ta déjà longue carrière chez Renault ?

Pour sûr, ce sont les gens, toutes les rencontres que j’ai pu faire. D’une part en interne : il y a, chez Renault, un fort sentiment d’appartenance et beaucoup moins de turn-over que dans d’autres industries. On dit d’ailleurs que nous avons un losange gravé sur le cœur ! Et il y a aussi toutes les personnes que j’ai rencontré lors de mes voyages, toutes ces cultures qui ont su m’ouvrir les yeux sur le monde.

Merci Delphine, as-tu un dernier mot à ajouter pour les élèves ?

Donnez-vous les moyens de faire ce dont vous avez envie, ne baissez jamais les bras, pas même lorsque les personnes qui vous entourent vous disent que c’est impossible. Ayez la force d’y croire, ne vous mettez pas de limite, soyez positif et battez-vous ! Si les managers voient votre motivation, ils pourront parier sur vous même si vous n’avez pas toutes les capacités requises au démarrage, croyez-en mon expérience !

Un grand merci à Delphine pour ce partage d’expérience et ses conseils ! Si vous souhaitez la contacter, voici son adresse mail : delphine.de-andria@renault.com

Le projet Lumière Sur a pour but de mettre en avant les alumni de l’école pour vous présenter la richesse de leur parcours et leurs projets. Nous essaierons ainsi de vous proposer régulièrement un nouveau profil en espérant créer des vocations, faciliter les prises de contact, partager les bonnes nouvelles et beaux projets