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[Lumière sur] Johann CHABLE (2012) un docteur sans frontières, entre Allemagne et France

Archive du 05/10/20 – Aujourd’hui nous vous proposons le témoignage de Johann CHABLE, ingénieur de la promotion 2012, docteur spécialisé dans les matériaux inorganiques pour batteries solides au sein de la société Innolith. Dans cette interview, il nous parlera de son parcours de thésard puis docteur en France et en Allemagne. A cette occasion, à l’instar de Coralie Jehanno dans une précédente interview, il donnera ses conseils aux étudiants qui hésitent à se lancer dans l’aventure doctorale et partagera sa vision du travail à l’étranger.

Bonjour Johann, peux-tu te présenter rapidement ?

J’ai 31 ans, je viens de Metz en Lorraine, j’ai depuis longtemps su que cela me plairait de faire de la science et j’ai donc choisi la voie traditionnelle : Bac S, puis prépa PCSI-PC. Si je devais donner une caractéristique majeure de mon profil, je dirais que j’aime vivre sur les frontières et les dépasser, ce qui se ressent sur mon parcours d’ailleurs : même en étant curieux de science, j’ai toujours eu un côté littéraire prononcé (fort intérêt pour l’Histoire), je voulais faire à la fois de la chimie et de la physique et j’ai bien entendu toujours vécu en tant que Messin à proximité des frontières allemandes, luxembourgeoises et belges.

Mon premier choix d’école fut l’ENSCBP (pour pouvoir faire de la chimie mais sans abandonner la physique !), que j’ai intégrée en 2009, pour être diplômé en 2012 dans la spécialisation MTE (Matériau et transports de l’énergie. NDLR : Aujourd’hui nommée SCE : Stockage et Conversion de l’Énergie). C’est en partie pour cette spécialisation que je suis venu ici !

Que retiens-tu de ton passage à l’ENSCBP (ENSMAC) ?

A vrai dire, j’ai eu un coup de foudre pour l’école quand j’ai vu la vie associative décrite sur la plaquette avant d’arriver ! Et une fois à l’intérieur, j’y ai participé activement, responsable du club Terroir, responsable du club Ciné, et trésorier du bureau de Traditions.

Bon ça a eu quelques petits impacts sur mon efficacité en termes de cours et d’examens (chuttt…) mais avec le recul ça valait vraiment le coup ! Ces expériences associatives m’ont beaucoup servi à la fois dans ma vie personnelle et professionnelle. J’étais de nature un peu timide, jusqu’à faire ce genre d’événement collectifs, d’apprendre à dire les choses dans une équipe, d’aller démarcher des partenaires, etc… Ce sont des choses qu’on n’apprend pas en cours.

Côté connaissances techniques, je me sentais encore limité en fin d’école sur mon domaine, mais c’était logique, c’était le deal, on a abordé toutes les facettes de la chimie, et mes connaissances pluridisciplinaires m’aident encore aujourd’hui !

La thèse tu y pensais depuis le début ?

Non pas vraiment, je voulais aller en entreprise ou industrie et la thèse était un grand truc qui me faisait plutôt peur. Malgré tout, je voulais vraiment faire de la recherche, et je ne me sentais pas encore assez expert, je sentais le besoin d’approfondir les thèmes qui m’intéressaient avant d’arriver sur le marché du travail. Aussi, pendant mon stage de 2A en Allemagne, chez Merck, j’ai vu à quel point le titre de docteur y était important. J’ai rencontré beaucoup de gens d’autres école de chimie, et le titre d’ingénieur à la française ne voulait rien dire pour les décideurs allemands. Ça m’a marqué, il y avait un couloir docteur, et un couloir technicien, ça m’a fait un déclic, “si je veux pouvoir travailler à l’étranger dans la recherche, je dois faire une thèse”.

Après mon stage de 3ème année à l’ICMCB chez Stéphane Gorsse, j’ai eu l’occasion de postuler chez Alain Demourgues pour une thèse en co-tutelle entre Bordeaux et Le Mans sur les matériaux fluorés pour batteries : “Electrolytes solides fluorés pour batteries tout solide”.

Et alors, comment as-tu vécu cette thèse qui te faisais si peur ?

Eh bien j’ai adoré faire cette thèse ! En réalité il ne faut pas en avoir peur! Si on aime la recherche, c’est super enrichissant, car tu apprends à te connaitre au travail et à connaître ton travail. Je l’ai vécu comme un sas avant le monde du travail. J’ai appris à être persévérant et à gérer la frustration de la recherche. La co-tutelle ça a été exigeant, notamment sur le plan logistique car il fallait déménager, changer d’équipe et de mode de travail tous les six mois, mais au final très enrichissant, car j’ai pu bénéficier de différents regards sur un même problème. Ma première arrivée au Mans a par exemple permis de contourner un obstacle majeur de ma thèse en fin de première année.

Beaucoup d’étudiants hésitent à se lancer dans cette voie, qu’aurais-tu envie de leur dire ?

Deux conseils :
1) Allez discuter avec des doctorants !
2) Choisissez bien votre maître de thèse, votre équipe et votre laboratoire !

Si le côté humain est dégradé, ça va être dur alors renseignez-vous bien auprès des stagiaires, doctorants, voire post-docs qui ont les mêmes chefs ou sont dans votre future équipe. Par exemple, beaucoup d’anciens doctorants de l’école sont dans l’ADOC ou l’AQUIDOC sur Bordeaux et sont accessibles pour discuter, que ça soit en pause ou en soirée au Foy’. En ce qui me concerne, j’ai eu la grande chance de tomber dans deux super équipes, au Mans comme à Bordeaux ! L’ambiance et l’entraide étaient toujours au beau fixe et ça jouait beaucoup pour surmonter les difficultés rencontrées pendant le travail de recherche. Une manip’ qui te foire une journée, ça passe mieux quand tu peux en sourire au CAES le midi, autour d’une bière le soir ou lors des WE ADOC 😉 Pareil pour les voyages tous ensemble lors des conférences sur le Fluor, j’ai de sacrés souvenirs !

Comment se passe la fin d’une thèse ?

Avant même la fin de ma thèse j’ai cherché à aller en entreprise. Surtout je n’ai pas attendu de finir pour chercher, après avoir passé la soutenance de thèse je n’avais plus une goutte d’énergie pendant un petit moment ! J’ai aussi eu la chance d’être prolongé six mois en post-doc au Mans, pour parachever en douceur mes travaux de thèse et pouvoir chercher un emploi stable.

Par ma banque, j’ai bénéficié d’un accès privilégié à une aide personnalisée pour la recherche d’emploi et j’ai multiplié les candidatures dans l’industrie française, pour trouver un poste en R&D dans les batteries. Mais ce ne fut malheureusement guère concluant. J’ai alors tenté de contacter l’équipe allemande qui travaillait sur le même sujet que moi, les batteries au fluor, notamment les matériaux de cathode et d’électrolyte. En sachant bien que la chimie en Allemagne, c’est très pourvoyeur d’emploi et avec l’idée en tête de monter un projet franco-allemand sur ce nouveau type de batteries.

Bingo, j’ai ainsi fait 2 ans au Helmholtz Institut à Ulm pour participer au développement d’un nouveau type de matériaux de cathode pour batteries Li-ion. L’environnement de recherche et social était très plaisait mais j’ai aussi découvert un côté moins reluisant de la recherche, où l’objectif était de publier, publier et encore publier, au détriment de la qualité, voire de la vérité. En termes professionnels et scientifiques, je ne pouvais pas rester comme ça.

J’ai donc décidé de changer en octobre 2018, en partie grâce à un ancien de l’école, Vincent Zborowski, qui m’a parlé d’Innolith, l’entreprise où je travaille aujourd’hui à Bruchsal, à côté de Karlsruhe. Le sujet principal y est le développement d’un nouveau type de batteries dont la particularité est qu’elles sont ininflammables. Innolith est une petite structure privée de 70 personnes environ, qui fonctionne encore un peu en mode start-up. J’y suis responsable de deux-trois projets, que je supervise mais dans lesquels je mets encore beaucoup la main à la pâte.

Quels conseils donnerais-tu à ceux qui souhaite vivre/travailler à l’étranger ?

Il faut tenter !! L’Allemagne, en l’occurrence, il ne faut pas en avoir peur et regorge d’opportunités de stage ou d’emploi ! La langue ne pose pas de problème, une grande majorité des Allemands parle anglais. La culture est très proche mais avec des spécificités très conviviales, comme par exemple les Biergarten, les Maultaschen, les marchés de Noël, le vin allemand (si si) et en règle générale la riche gastronomie ! Les Allemands sont bien sûr tellement fans de grillades que j’ai déjà participé à un barbecue à la veille des vacances de Noël !

Plus sérieusement, ça dépend un peu des différents Länder mais globalement c’est un pays où il fait bon vivre, en particulier si vous êtes amateur d’Histoire, de sport et de nature, il y a plein de recoins sympas, que ce soit dans les Alpes, le jura Souabe, le centre de l’Allemagne voire jusque dans la Suisse saxonne.

Le Blautopf, à 30km d’Ulm

Pour finir, je suis définitivement un partisan de l’échange (notamment de spécialités culinaires) et le fait de vivre à l’étranger, même s’il occasionne par moment des coups de blues patriotique (ah l’absence de l’apéro …), permet de découvrir et partager tellement de nouvelles choses que l’on ne s’ennuie jamais !

Si ce n’est pas indiscret, en terme salarial, à quoi peut-on prétendre avec le titre de docteur en Allemagne ?

Au niveau du salaire, en tant que post-doc je suis passé de 2100€ net/mois à 2700€ net/mois en traversant la frontière, aujourd’hui je suis à 3000€ et je ne pense pas être dans la fourchette haute. Les docteurs en début de carrière là-bas commencent à 3000€ net/mois.

Bien sûr, chez les grosses entreprises allemandes, c’est souvent davantage, même en début de carrière.

Merci beaucoup pour toutes ses réponses, une petite conclusion pour ceux qui liront ton parcours ?

Je suis très content d’avoir fait ce que j’ai fait. Je suis persuadé que pour faire de la recherche, même dans le privé, il est important de réaliser une thèse. C’est selon moi un sésame à avoir, en plus d’une super expérience humaine et professionnelle, d’autant plus si vous souhaitez travailler à l’étranger !

Au-delà de mon expérience, je pense que ce lien avec l’école et ses anciens est encore très important : encore cette année je suis témoin d’un CBPien, je sais qu’un petit « bébé CBP » arrive bientôt, j’ai encore “capsé” il y a peu, il faut pérenniser cela. Au passage si certains d’entre vous veulent organiser des rencontres sur Strasbourg, je ne suis pas trop loin et vous aiderai avec plaisir.

Un grand merci à Johann pour ce partage d’expérience et ses conseils ! Si vous souhaitez le contacter, voici son adresse mail : johann.chable@innolith.com

Le projet Lumière Sur a pour but de mettre en avant les anciens de l’école pour vous présenter la richesse de leur parcours et leurs projets. Nous essaierons ainsi de vous proposer régulièrement un nouveau profil en espérant créer des vocations, faciliter les prises de contact, partager les bonnes nouvelles et beaux projets.