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[Lumière sur] Gilles FONBLANC, carrière dans l’Aéronautique avec le Secrétaire Général d’ArianeGroup

Archive du 01/09/21 – Secrétaire Général d’ArianeGroup et président de la filiale française ArianeGroup SAS, Gilles Fonblanc, ingénieur de la promotion 1982, partage avec nous sa carrière dans l’industrie aéronautique et aérospatiale, et nous offre sa vision de l’avenir de la filière et de la place des futurs ingénieurs en son sein.

Si je vous demande de présenter votre parcours en quelques minutes, est-ce faisable ?

Je suis sorti de l’école en 1982, qui s’appelait alors ENSCPB et nous faisions partie de la première promotion où la physique prenait sa place à côté de la chimie. J’ai fait une thèse CIFRE, avec un industriel, SNPE (Société Nationale des Poudres et Explosifs) et j’ai eu mon doctorat en chimie organique en 1985. Mon sujet de thèse était : “Les matériaux composites : Matrices Epoxy, fibres de verre, et carbone”. C’est vraiment lors de cette thèse que j’ai appris à conduire un projet, à faire une bibliographie, à approfondir, et à mettre en pratique mes connaissances. Ce fut une excellente formation ! En 1986, je suis rentré dans la Société Nationale des Poudres et Explosifs (SNPE) dans le milieu des activités pyrotechniques, notamment des matériaux énergétiques appelés propergols (application propulsive pour lanceurs spatiaux), et j’ai pris directement une responsabilité de chef de laboratoire, avec une quinzaine de personnes à gérer. J’ai donc eu une mission de management très jeune dans des applications assez critiques en termes de responsabilité.

J’ai progressivement passé différents stades dans l’organisation. En 1995, j’ai été nommé chef d’unité (80 collaborateurs) à 35 ans, et ensuite en 1999 j’ai pris le poste de directeur Recherches et Technologies de SNPE Matériaux énergétiques (SME), avec 400 collaborateurs dont le Centre de Recherches située en région parisienne., Les applications concernaient l’activité qui des matériaux de propulsion des lanceurs civils et militaires. Ce premier parcours professionnel au sein d’une filière technique m’a beaucoup plu et a été très structurant pour la suite !

En 2002, à 42 ans, j’ai eu l’opportunité de changer d’orientation de carrière, en prenant la responsabilité d’un centre de profit c’est-à-dire la direction d’une Business Unit (BU). Nous avons à ce moment-là lancé une activité nouvelle : la réalisation de matériaux pyrotechniques pour déclencher les airbags automobiles. Il a fallu nous organiser industriellement, c’était un domaine très différent, car on devait adresser des millions de pièces et non plus quelques dizaines par an comme les propulseurs. On a ainsi dû construire et mettre en œuvre une nouvelle organisation capable de répondre aux exigences de l’industrie automobile et en particulier la gestion des flux, des cycles courts et la compétitivité économique.

On a créé cette BU en 2002, avec 200 personnes, et un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros. Cela fût une superbe expérience de création d’une entité, de management humain en lien direct avec les équipementiers automobiles. Je retiens de cette période la notion de challenge économique, d’exigence industrielle mais surtout la notion de valeur ajoutée pour le client. Cette deuxième étape professionnelle après la période R&T m’a permis de compléter mon parcours et être beaucoup plus sensible à la notion de compétitivité et des leviers d’amélioration continue qu’il est indispensable de mettre en place.

En 2005, en complément de mes activités chez SNPE, j’ai été nommé PDG de PyroAlliance qui était la filiale équipementière du Groupe dans les domaines Espace et Défense. J’ai été président de cette filiale pendant presque 10 ans (c’était une PMI qui est passée de 120 à 300 personnes dans la période). Au-delà des fondamentaux déjà pratiqués pour la Business Unit, cette période m’a permis de participer à la mise en place de contrats à l’export avec des partenaires très différents (Corée du sud, Brésil, Etats-Unis, etc…). Ces expériences commerciales nouvelles pour moi, m’ont permis d’apprécier des cultures, des approches très différentes !

En 2012, le Groupe SAFRAN, maison mère de Snecma Propulsion Solide (SPS), rachète SNPE Matériaux Énergétiques et fusionne ses deux filiales dans une nouvelle société, Herakles. La volonté stratégique de SAFRAN était de créer un des premiers motoristes mondiaux dans le domaine Défense & Espace en regroupant les actifs de SPS et SNPE. Dans le cadre de cette fusion et de la nouvelle organisation mise en place, j’ai été nommé directeur de la Business Unit « Propulsion Stratégique » qui traitait de tous les sujets Défense. Environ 500 personnes et 200 millions d’euros de chiffres d’affaire réalisé sur 4 sites industriels. Il a fallu mettre en place une organisation efficace avec des équipes nouvelles, des cultures différentes mais avec un objectif de résultat court terme. J’ai bénéficié comme beaucoup de mes collègues d’une expérience de création de Joint-Ventures et ce fût un vrai succès. Je retiendrai de cette période que la clef du succès d’une JV réside dans le respect des différences mais en fixant un objectif ambitieux pour transcender les équipes sur un nouveau challenge et forger le collectif.

En 2016, SAFRAN et AIRBUS décident de mettre en commun leurs actifs dans le domaine des lanceurs civils et militaires en créant la société Airbus Safran Launchers qui deviendra ArianeGroup.

ArianeGroup est maître d’œuvre des familles de lanceurs européens Ariane 5 et Ariane 6, dont il assure la conception et l’ensemble de la chaîne de production, jusqu’à la commercialisation par sa filiale Arianespace, ainsi que des missiles de la force de dissuasion océanique française. Co-entreprise à 50/50 d’Airbus et de Safran, le groupe emploie environ 9000 personnes hautement qualifiées en France et en Allemagne. Son chiffre d’affaires est supérieur à 3 milliards d’euros.

En ce qui me concerne je vais prendre une responsabilité complètement nouvelle dès 2016 avec la mise en place d’une direction des sites sur le périmètre Français et Allemand avec au total 18 sites industriels.

Quelque chose de complètement nouveau ? C’est-à-dire ? Quelle est la distinction entre ces différentes activités de direction ?

Un directeur de Business Unit a une orientation externe, tournée vers le client, il a une dimension contractuelle et commerciale. En interne il s’assure que les contrats seront respectés et délivrés tout en dégageant une marge suffisante au regard des actionnaires.
Un directeur de(s) sites(s), lui, gère tout ce qui est réglementaire. Il y a des enjeux de continuité d’activité, de sécurité, de cybersécurité. Il est notamment beaucoup en lien avec les autorités (DGA, DREAL,…). En interne il est chargé de l’optimisation du fonctionnement des sites pour améliorer leur productivité. Je suis aujourd’hui en charge des relations institutionnelles. J’ai beaucoup de lien avec les décideurs, notamment les élus. Ce qui n’est pas du tout la même chose que d’être dans une relation commerciale

En 2019, j’ai pris un périmètre plus important car j’ai également été nommé Secrétaire Général, en charge de l’ensemble des fonctions support de la société.

Comment s’est passé la transition d’un poste purement technique vers une position de direction/management ?

Pendant que je faisais ma thèse CIFRE, je passais 50% de mon temps au laboratoire, et 50% dans l’entreprise. J’avais un responsable scientifique et un responsable industriel. Mon responsable industriel a vu comment je travaillais, notamment la façon dont je gérais le technicien de laboratoire à mes côtés. Ainsi, quand j’ai terminé ma thèse on m’a dit « on va t’embaucher et on va te proposer le poste de chef de laboratoire. J’ai acquis cette légitimité, même jeune, durant ma thèse, et c’était aussi un acte de management très courageux de la part de mes responsables ! C’est quelque chose qui me motivait beaucoup donc cela ne m’a pas déstabilisé.

Est-ce que vous imaginiez faire cela quand vous étiez encore au début de votre carrière ?

Je n’imaginais pas arriver là où j’en suis aujourd’hui. Je m’imaginais faire une carrière dans la R&D. Je n’avais jamais pensé pouvoir prendre la direction d’une Business Unit. Rien n’est impossible. Il ne faut pas avoir peur de s’essayer à des domaines différents. J’ai changé de métier en 2002, ça a été plus qu’enrichissant ! Et pour revenir à ma formation, être un chimiste n’a jamais été un obstacle et je tiens à féliciter le travail extraordinaire des personnels enseignants et l’ensemble des collaborateurs qui m’ont permis d’accéder à cette formation et ces compétences initiales si importantes. Depuis de nombreuses années, j’évolue dans des comités de directions ou les formations et CV prestigieux sont nombreux. Pour avancer, il faut rester humble, accepter l’échec et travailleur pour s’améliorer et apprendre mais surtout ne pas avoir de complexes !

Quelles sont les critères de réussites selon-vous ?

Personnellement, quand j’embauche quelqu’un, je regarde trois critères majeurs :

  • La compétence. C’est la formation académique qui vous la donne, et la curiosité.
  • La confiance. Celle que vous témoigne vos collaborateurs ou votre manager, et qui est gage de qualité relationnelle.
  • Et l’envie !

Si vous avez l’opportunité d’être avec des personnes qui veulent bien prendre des risques et vous mettre des pieds à l’étrier, alors profitez-en !

Bien sûr, dans une vie professionnelle, vous avez toujours des personnes que vous allez apprécier, que vous allez observer, qui vont vous donner des conseils, des avis. Je me suis beaucoup inspiré des gens avec qui j’ai travaillé durant ma carrière. Il faut avoir la capacité de discuter avec vos pairs, et surtout la capacité à échanger avec tous les niveaux de l’entreprise. Surtout éviter de s’isoler !! Rester ouvert, rester attentif, en regardant autour de nous, permet de trouver des réponses.

Qu’est-ce que vous aimez et que vous n’aimez pas dans votre métier aujourd’hui ?

Ce qui me plait, c’est la responsabilité, c’est de pouvoir prendre des décisions et manager les équipes. C’est différent de l’autonomie, car je rends compte au CEO et aux actionnaires. Je ne parle pas de pouvoir mais bien d’être acteur, de pouvoir prendre des décisions et de les mettre en œuvre. Ce qui ne me plait pas en revanche, ce sont les silos, c’est d’être parfois mis dans une case, et de se sentir isolé du reste de l’entreprise. Quand on est à ce genre de poste il est important de pouvoir continuer à sentir le pouls de l’entreprise !

Aussi, la lourdeur des grosses entreprises : moins agiles et moins réactives est parfois un élément frustrant.

2022 sera une année importante avec notamment le premier vol d’Ariane 6, comment le vivez-vous ?

C’est un défi extraordinaire pour les équipes, un nouveau lanceur cela arrive au mieux tous les vingt ans. C’est un lanceur qui sera capable de faire toutes les missions (satellites géostationnaire, exploration, constellations de satellites, etc…). C’est formidable de contribuer à ce développement. Et c’est formidable d’être dans l’entreprise à ce moment-là.

Au regard, de deux éléments contextuels actuels, la crise Covid et la concurrence aérospatiale mondiale (Space X, notamment,…), comment voyez-vous l’avenir dans le domaine aérospatial européen pour les futurs ingénieurs physico-chimistes ?

Pour répondre à cette question il faut prendre un peu de recul et rappeler quelques fondamentaux. Depuis des décennies, les hommes et les femmes au sein de nos entreprises relèvent des challenges techniques, technologiques et organisationnels à la hauteur des enjeux toujours plus complexes de notre filière Aéronautique Spatiale et Défense. Bien plus, ils contribuent collectivement, par leur implication et leur compétence, à des missions extraordinaires telles que l’accès à l’Espace, le maintien de la paix, la transition écologique, la défense nationale, le développement de mobilités, l’amélioration de la compétitivité, la prospérité nationale…

Mais la pandémie du Covid-19 a mis un coup d’arrêt brutal à l’économie mondiale et a frappé de plein fouet notre secteur et ses territoires industriels. L’ensemble des acteurs de la filière avec le soutien des institutions ont su réagir en faisant la démonstration d’une extraordinaire solidarité pour répondre aux besoins de leurs clients, en instaurant des plans de continuité et en soutenant leurs fournisseurs.

Fidèle à cet esprit pionnier, les collaborateurs des entreprises du secteur ont su faire preuve d’une grande résilience et réussi à maintenir la continuité industrielle.

Notre filière à toujours anticipé l’avenir grâce à une culture d’innovation et de nouveaux programmes, dans le respect de l’environnement. En ce qui concerne l’aéronautique, la transition écologique passera par l’accélération de la décarbonation du trafic aérien mondial. Celle-ci sera rendue possible grâce à des propulsions électriques et hybrides ou encore avec de nouvelles ruptures technologiques, comme celles issues de l’hydrogène.

Pour le secteur spatial, quarante ans après le 1er vol d’Ariane, le nouveau lanceur Ariane 6, modulaire et compétitif, débutera sa mise en service avec son 1er vol en 2022. Dans le prolongement les évolutions de ce lanceur sont déjà envisagées avec un futur moteur cryogénique européen et un démonstrateur d’étage réutilisable.

De plus, un accès autonome à l’Espace pour l’Europe doit permettre à ses citoyens de bénéficier des technologies spatiales (géolocalisation, prévisions métrologiques, usages au quotidien des smartphones et services Internet, navigation, mobilité autonome, etc.) dans un monde plus sûr, plus digital, et respectueux de l’environnement.

Forte de ces atouts, consciente des enjeux, notre filière doit continuer à être créatrice de valeur et d’emplois qualifiés et durablement ancrés sur le territoire. Elle contribuera ainsi à conforter la place exceptionnelle de notre région Nouvelle Aquitaine, de notre pays et de l’Europe dans la filière Aéronautique Spatiale et Défense.

Comme écrivait l’aviateur Saint-Exupéry : « Il ne s’agit pas de prévoir l’avenir, mais de le rendre possible ». L’avenir se préparera autour d’une aviation plus « verte », de nouvelles solutions de transport orbital et une meilleure surveillance et préservation de l’Espace.

En conclusion, je suis donc optimiste pour les jeunes diplômés qui souhaitent rejoindre notre filière Aéronautique Spatiale et Défense les enjeux sont nombreux et passionnants pour les talents en devenir.

Quels conseils donneriez-vous aux diplômés ingénieurs de l’ENSCBP ?

Soyez humble et curieux, pensez entreprise et raisonnez en termes de solution !

Un grand merci à Gilles Fonblanc pour cette interview !