[Lumière sur] Bernard BRAMAUD (1968) Ex-Vice-Président R&D du sidérurgiste ArcelorMittal
Aujourd’hui nous vous proposons le témoignage de Bernard BRAMAUD, ingénieur de la promotion 1968, et ancien vice-président d’ArcelorMittal en charge de la R&D. Dans cette interview, il nous parlera de son parcours au sein de la sidérurgie et apportera ses conseils en tant qu’ex-dirigeant, aux ingénieurs et futurs ingénieurs physico-chimistes de l’industrie mondiale.
Pouvez-vous nous présenter brièvement votre parcours ?
Je suis un très ancien, promotion 1968 ! Après Bordeaux, je suis allé faire une autre école : l’ENSEEG à Grenoble (École Nationale Supérieure d’Electrochimie et d’Electrométallurgie de Grenoble) qui est aujourd’hui devenue PHELMA. J’ai fait ce choix car à l’époque, à l’école de chimie de Bordeaux, le corps enseignant nous poussait beaucoup à nous orienter vers des thèses et de la recherche universitaire, du moins c’est ce que j’ai ressenti. Ce n’était pas ma vision de l’ingénieur. Pour moi, à cette époque-là, les ingénieurs étaient ceux qui produisaient dans les usines, notamment dans les industries lourdes. Les métiers liés aux industries lourdes et à la mécanique me passionnaient.
Je suis ensuite rentré facilement dans une petite entreprise de 800 personnes , à l’usine, dans le service qualité de production. J’ai évolué dans l’usine, notamment dans l’amélioration des process de production. Puis est arrivé une restructuration complète de la sidérurgie en France accompagnée d’une crise, en 1974, qui a entraîné le regroupement de différentes sociétés sidérurgiques. Toute la sidérurgie française s’est mutualisée, et on s’est associé avec des firmes sidérurgiques Espagnoles, Belges, Allemandes, Luxembourgeoises pour donner naissance à Arcelor et en 2006, Mittal a absorbé Arcelor pour devenir ArcelorMittal où j’ai terminé ma carrière. Nous étions 320 000 à l’époque avec des unités dans les différents continents.
Dans cette évolution, mon métier s’est progressivement élargi. J’ai principalement eu des fonctions techniques, et au fur et à mesure des fusions, je suis passé à la tête d’une grosse direction technique (amélioration et création de produits et processus, orientation des grands investissements…). Cela m’a toujours passionné de construire, de comprendre le marché et quels outils de production il fallait mettre en place. Je suis également passé par une fonction de directeur commercial dans laquelle je traitais la commercialisation des aciers pour l’industrie automobile. Nous mettions en place des équipes présentes dans les bureaux d’études des constructeurs permettant de concevoir les aciers et services du futur et ainsi d’améliorer les véhicules en terme de sécurité, réduction émission CO2, coûts …. . Cela m’a permis de garder un pied dans la technique, tout en appréhendant mieux l’aspect économique (création de valeur) et l’art de la négociation.
J’ai également été patron de Business Unit pendant un temps et j’ai terminé ma carrière en tant que vice-président d’ArcelorMittal en charge de la R&D au niveau mondial. Un comble pour quelqu’un qui ne voulait pas faire de la R&D au début de sa carrière !
J’ai, finalement, passé beaucoup de temps à travailler sur des problématiques d’organisation au moment des fusions, où chaque entreprise apportait ses méthodes et ses savoirs faire, ce qui m’a permis de ne pas m’ennuyer !
A quel point votre diplôme vous a servi dans votre évolution de carrière ?
Je me suis aperçu que dès lors qu’on quitte les frontières, la notion d’école à la française, de diplôme et de titre n’a plus vraiment de signification. Cela garde son importance quand on cherche son premier emploi mais ensuite, c’est votre expérience, vos compétences et non pas votre diplôme qui font la différence. A mon époque, l’école de Bordeaux n’était pas dans le top des écoles, pourtant, en quelques années, c’est oublié. Dans une carrière, ce sont principalement les compétences, l’aptitude au changement, et la motivation qui seront jugées.
Justement, qu’est-ce qui vous a motivé dans votre longue carrière chez ArcelorMittal ?
En premier, la possibilité de pouvoir s’exprimer et mettre en application ses idées en termes d’organisation, investissements, etc…grâce à une organisation simple et visible, ainsi qu’une DG accessible et faisant confiance bien que la société a atteint rapidement une taille très importante, liée aux regroupements successifs.
Ensuite ce que j’ai trouvé de particulièrement passionnant dans ma carrière, c’est l’aspect multiculturel : travailler avec des ingénieurs et techniciens de différentes cultures et langues, c’est comme cela que l’on s’enrichit.
A partir de mon milieu de carrière, j’ai dû me déplacer très souvent, dans un même mois, il n’était pas rare de devoir se rendre aux US/ Canada, Brésil, etc… J’animais également techniquement, les différentes Joint-Ventures d’ArcelorMittal, notamment avec le Japon, la Russie, et l’Inde.
J’ai aussi beaucoup travaillé avec la Chine, ce qui était, il faut le dire, relativement compliqué. On se mettait d’accord sur quelque chose et c’était remis en question le lendemain. Les japonais, eux, ne vous disent jamais non mais cela ne veut pas dire qu’ils sont d’accord… Nous n’avons pas du tout la même façon de se comporter.
Je n’ai pas forcément eu de difficultés avec ces aspects culturels, mais il fallait les comprendre, et jouer avec pour être performant. Les japonais m’ont beaucoup appris sur l’efficacité de mise en œuvre des processus par exemple. Dès qu’ils sont décidé, ce sont des bulldozers, c’est fait très rapidement et avec rigueur ! Cet aspect de mon métier était très enrichissant !
Est-ce que vous imaginiez en arriver là quand vous étiez encore au début de votre carrière ?
Non jamais, d’autant plus que je n’ai jamais rien demandé. J’ai eu de la chance d’avoir des patrons qui ont cru en moi. Quand j’ai commencé à travailler en 1970 je n’avais clairement pas imaginé cela. Il m’arrivait même de charrier mes collègues qui me disaient “dans 20 ans, moi je serai là”.
Cela demande énormément de temps, avez-vous réussi à concilier vos responsabilités professionnelles avec votre vie personnelle ?
Il faut que je remercie ma famille qui a su « s’organiser » en conséquence. Je n’ai jamais eu de soucis à ce niveau-là. Cela facilite les choses. Un des problèmes c’est qu’une fois à la maison, j’étais très sollicité.
L’arrivée de l’informatique n’a pas eu que des bons côtés. Dans les années 1980, quand j’étais aux Etats-Unis, ma secrétaire m’envoyait mon courrier là-bas, je le recevais, et je traitais les problèmes quand je revenais en Europe. Aujourd’hui nous sommes devenus constamment sollicité, et on répond dans les heures qui viennent. On est dans l’instant, et on réfléchit bien moins qu’avant. Je pense que cela nuit à la prise de bonnes décisions.
En tant que dirigeant, quel conseil donneriez-vous à vos pairs ?
De s’entourer d’une équipe de collaborateurs fiables en qui vous avez confiance. Un travail de direction vous ne pouvez pas le faire tout seul, vos équipes doivent vous préparer différents scenarios et à vous de prendre la décision.
J’ai toujours été avec des gens avec qui je m’entendais bien. Et bien sûr, même si ce n’est pas drôle, il ne faut pas hésiter, quand quelqu’un ne répond pas aux attentes, de s’en séparer. De mon côté, je me suis efforcé d’être concis, à ne pas faire de grandes phrases incompréhensibles et à expliquer synthétiquement ce que j’attendais des gens. Puis, évidemment, il faut en assurer le suivi, les gens ont besoin de connaître ce qui advient de leur travail. Savoir reconnaître la qualité de la contribution de votre collègue, mais également lui dire quand c’est non. Pour moi, les critères qui définissent un bon collègue sont la transparence, l’ouverture d’esprit, et l’esprit de synthèse.
Avez-vous envisagé de changer d’entreprise ?
Oui au début de ma carrière, au bout de 5-10 ans, mais ensuite vraiment très peu. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai eu la chance d’être dans une mouvance industrielle énorme. A chaque fois qu’il y avait une fusion ça changeait donc je ne me suis jamais ennuyé.
Comment avez-vous vécu, en première ligne, le déclin de l’industrie française ?
La sidérurgie française a été complètement laminée en termes d’effectifs. Le nombre d’employés a diminué énormément, je pense notamment à Dunkerque, Fos-sur-Mer, ou la Lorraine. Aujourd’hui ces usines continuent d’exister, la production continue, mais avec 20 000 personnes aujourd’hui, contre 130 000 personnes quand j’ai commencé.
Les différentes crises ont obligé les industriels à gagner en productivité, avec des processus toujours plus performants et malheureusement une main d’œuvre moindre.
Personnellement, je n’ai jamais vraiment vécu ce problème, car à partir d’un certain moment j’évoluais uniquement au niveau international, avec une vision globale, donc l’aspect filière française était moins sensible.
Je travaillais avec l’industrie automobile, qui était largement mondialisée. Mon travail était par exemple de savoir où est-ce que Toyota allait construire ses usines puis de regarder s’il fallait qu’on construise une usine à côté, même si ce n’était pas en France.
Vous avez parlé de crise, sujet d’actualité, comment cela s’est déroulé ?
La première que j’ai vécue fut le choc pétrolier de 1974, et dans ce cas l’unique question est : comment je vais m’organiser pour rester compétitif : comment améliorer nos coûts de production mais également la différentiation des produits et services par rapport à concurrence. Les restructurations et regroupements d’entreprises qui ont jalonné ma carrière sont en partie liés à ses crises (aux problématiques de réduction des coûts).
Aujourd’hui, que faites-vous de votre retraite ?
Aujourd’hui, je fais du bénévolat pour aider au développement de ma commune et ma région. Je suis fier de participer à l’amélioration de la vie de mon bourg, en tant que premier adjoint au maire. Je donne mon temps pour que ce bourg et la campagne autour puisse continuer à vivre. Dans le même cadre je fais partie de la commission économique de la communauté de commune, pour améliorer le tissu industriel local. Et côté culturel, j’organise, un festival de musique.
Enfin, je travaille aussi aujourd’hui en tant que consultant (principalement sur l’aspect organisationnel pour différents grands groupes d’activités très variées) et j’ai gardé mon domicile parisien où je vais tous les 15 jours pour ces différentes missions.
J’estime que la vie doit être un équilibre entre différentes choses. D’un côté j’adore la randonnée et la vie à la campagne, mais d’un autre j’ai encore besoin de l’aspect « intellectuel » que m’apporte ma fonction de consultant.
Si les futurs ingénieurs de l’ENSCBP, devait ne retenir qu’un mot, lequel serait-il ?
C’est la motivation et l’engagement qui dominent tout ! Je ne me suis jamais embêté dans mon boulot !
Un grand merci à Bernard pour ce partage d’expérience et ses conseils précieux !
Le projet Lumière Sur a pour but de mettre en avant les anciens de l’école pour vous présenter la richesse de leur parcours et leurs projets. Nous essayons de vous proposer régulièrement un nouveau profil en espérant créer des vocations, faciliter les prises de contact, partager les bonnes nouvelles et beaux projets.
Tag:LUMIERE SUR